Au début du XXe siècle, quelques femmes lèvent les yeux vers le ciel, non pour le contempler, mais pour s’y frayer une place. Leurs premiers vols sont aussi des actes de rébellion douce, portés par la volonté de défier l’ordre établi. Ces pionnières ouvrent la voie à celles qui, bientôt, ne se contenteront plus de rêver. En mars 1910, en France, Raymonde de Laroche s’élève au-dessus des conventions sociales en devenant la première femme au monde à obtenir un brevet de pilote. Ancienne actrice, elle a délaissé les planches pour les airs, avec une détermination peu commune. Elle perd tragiquement la vie en 1919 lors d’un vol d’essai. Mais son héritage perdure, comme un cri d’émancipation lancé vers le futur, un cri repris bientôt par d’autres voix féminines, aux quatre coins du monde.
Dans la foulée, d’autres pionnières émergent. Harriet Quimby, première Américaine brevetée en 1911, ouvre la voie outre-Atlantique, tandis que Adrienne Bolland, en 1921, traverse la redoutable Cordillère des Andes à bord d’un biplan fragile. En réalité, elle avait plus peur qu’on l’empêche de partir que de ne pas arriver. Et cela résume la double bataille que les pionnières de l’aviation menaient : contre la gravité, mais surtout contre les préjugés.
Des années 1930 aux déflagrations de la Seconde Guerre mondiale, des femmes s’imposent dans les airs, non plus comme exceptions, mais comme forces vives. Qu’elles traversent l’Atlantique ou plongent dans la nuit pour bombarder l’ennemi, elles démontrent une bravoure silencieuse, souvent oubliée. Dans les nuages de l’histoire, elles laissent des traces indélébiles. Amelia Earhart, première femme à traverser l’Atlantique en solitaire en 1932, incarne un idéal de liberté et d’audace. Elle affirmait avec ferveur : « Le plus difficile est de décider d’agir, le reste n’est que ténacité ». Son mystère reste entier après sa disparition en 1937, mais son héritage façonne encore le destin de nombreuses générations de femmes.
À l’Est, dans l’Union soviétique, Marina Raskova révolutionne l’engagement féminin en temps de guerre. Aviatrice et stratège militaire, elle fonde le 588e régiment de bombardement de nuit, surnommé « les sorcières de la nuit » par leurs ennemis nazis. Se faufilant silencieusement dans la nuit pour des missions quasiment suicidaires, ces femmes volaient dans des biplans en toile: des avions d’entraînement Po-2 aussi rudimentaires que vulnérables transformés en bombardiers à la hâte, lorsque leurs opposants pilotaient les redoutables Messerschmitt Bf-109 ou autres Focke-Wulf 190 dernier cri. À l’approche des cibles, elles coupaient le moteur et planaient dans le silence jusqu’au largage. Portées par le vent, elles devenaient des ombres redoutées. C'est l'unité la plus décorée de la Force aérienne soviétique, chaque aviatrice ayant effectué près de 1 000 missions jusqu'à la fin de la guerre et vingt-trois pilotes ont obtenu le titre de Héros de l'Union soviétique. Leur précision et leur courage firent trembler la Luftwaffe, inversant les rôles assignés aux femmes à cette époque.
Mais la fin des combats n’annonça pas celle des préjugés. Alors que les héroïnes de l’ombre s’étaient imposées dans les airs, l’après-guerre les ramena brutalement sur terre. Aux États-Unis, les Women Airforce Service Pilots (WASP), qui avaient convoyé des avions et formé des pilotes, furent démobilisées en 1944 sans même obtenir de statut militaire officiel. Elles devront attendre 1977 pour être reconnues comme vétéranes. L'après-guerre est une période dorée, mais à l’heure où la technologie progresse rapidement, les compagnies aériennes ferment à nouveau les portes des cockpits aux femmes qui sont peu à peu reléguées aux rôles périphériques. Les compagnies aériennes restaient frileuses, invoquant des arguments fallacieux sur la sécurité ou l’acceptabilité sociale et ce n’est qu’en 1973 qu’Air France recrute sa première pilote de ligne, Danièle Décuré, qui brisera ce plafond de verre.
Les écoles d’ingénieurs aéronautiques, creusets de talents indispensables à la modernisation du secteur, restent alors presque exclusivement masculines. Les femmes qui y entrent sont souvent isolées, mais elles tiennent bon, conscientes que chaque pas est une victoire.
En 1980, elles représentent encore moins de 2 % des pilotes dans le monde. Un chiffre qui, derrière sa sécheresse, cache des rêves bridés, des vocations détournées et témoigne des nombreux combats à mener.
Depuis les années 1990, un changement s’opère, porté par une volonté collective et institutionnelle. La mixité devient un enjeu pris au sérieux, avec la création de réseaux professionnels féminins, la mise en lumière des pionnières, et un encouragement tangible des jeunes femmes à rejoindre les filières aéronautiques.
L’École Nationale de l’Aviation Civile (ENAC) joue un rôle clé dans cette transformation. En ouvrant ses portes à une génération nouvelle d’élèves pilotes, ingénieures, contrôleurs aériens, elle favorise un environnement où la compétence prime sur le genre.
Pourtant, la route reste longue. En 2023, seulement 6 % des pilotes commerciaux dans le monde sont des femmes, un chiffre qui en dit long sur le chemin restant à parcourir. (Air Line Pilots Association). En France, une élève pilote sur neuf est une femme (DGAC, 2022), et moins de 25 % des cadres dans l’industrie aéronautique sont féminins (GIFAS, 2022). Ces chiffres sont bien plus que des statistiques : ils racontent une réalité, un défi quotidien pour des milliers de femmes.
Dans cette histoire encore en écriture, ENVOL est plus qu’un nom : c’est un symbole. Celui d’une génération qui ne se contente plus de regarder passer les avions, mais les pilote, les conçoit, les guide. Ici, les jeunes femmes ne sont pas des questions de quota : présidente, responsables ou encore chargées, elles occupent des rôles indispensables au sein de la structure. Parce qu’ici, la parité est vécue comme un impératif d’efficacité et de justice.
Un avion ne décolle pas sans ailes. L’aviation ne s’écrira jamais sans elles. C’est un message que nous portons haut, au travers de conférences que nous organisons comme Jamais un Avion Sans Elles, pour inspirer la prochaine génération. Lors de la dernière édition, certaines participantes nous ont confié qu’elles n’avaient jamais osé envisager cette voie mais ce jour-là, une étincelle s’est allumée. À toutes les jeunes filles qui rêvent du ciel, nous disons : vous êtes attendues, dans les cockpits, les tours de contrôle, les salles de simulation, et dans les conseils d’administration parce que le ciel ne fait pas de différence entre les genres. Seuls comptent la rigueur, le courage, l’excellence. Et si certaines femmes ont dû conquérir les airs à contre-vent, aujourd’hui, elles y volent de plein droit. À ENVOL comme ailleurs nous ne faisons pas que célébrer le passé, nous écrivons l’avenir. Et il est grand temps qu’il prenne son envol. À toutes celles qui hésitent encore à se lancer : le ciel vous attend. Il a toujours été à vous.